Lorsque Stephen Bell, dit « Belly » est arrivé à Hossegor à 20 ans, il ne se doutait pas de l’aventure incroyable qui l’attendait dans l’industrie du surf. Originaire de Torquay dans le Sud-Est de l’Australie, il est venu fabriquer des planches pour Quiksilver à la demande d’Harry Hodge. Le début d’une histoire qui allait le conduire sur les plus beaux spots de la planète aux côtés de Kelly Slater et qu’il poursuit aujourd’hui en coachant Leonardo Fioravanti.
Tu as fait quoi en arrivant à Hossegor ?
Je suis arrivé en France le 15 avril 1986, il faisait gris, le Surf Session n°1 était en kiosque et je l’ai acheté à l’aéroport, Wais Lane était sur la couverture. L’industrie du surf n’existait pas vraiment. A l’époque, à Hossegor, il n’y avait que quelques shapers indépendants, dont Gérard Dabbadie et Yvan Amélineau. Ils faisaient beaucoup de planches de windsurf en époxy. Au début, j’ai travaillé pour Maurice Cole, je faisais des glass, du ponçage et des finitions, Harry Hodge me donnait quelques t-shirts, j’étais un surfeur de niveau moyen, mais pour l’époque ici, c’était déjà un bon niveau.
Comment est né Euroglass ?
En 1990 j’ai monté ma propre société, j’avais la licence pour produire les planches Quiksilver, j’étais associé avec Jean Debaralle et Maurice Cole. On produisait beaucoup de planches, et au bout de 3 ans j’ai racheté les parts de Maurice et de Jean qui voulaient poursuivre leur propre aventure. Ensuite, grâce à Pierre Agnès, je suis devenu team manager chez Quiksilver, un métier qui n’existait pas encore à l’époque. J’ai rencontré Kelly Slater et je l’ai suivi sur le tour pendant presque 20 ans.
Comment se porte le marché de la planche custom ?
Aujourd’hui l’industrie du surf a beaucoup progressé, mais le marché de la planche de surf est quasiment saturé. On ne gagne pas d’argent en fabricant des planches de surf en France. Moi, j’ai un deuxième boulot, je travaille chez Quik, ce n’est pas parce que j’ai envie d’avoir un deuxième boulot, c’est parce que c’est ma passion. Une planche de surf se vend entre 600 et 700 euros aujourd’hui, on fait à peu près 22% de marge, mais c’est de plus en plus compliqué de trouver sa place comme fabricant français avec une concurrence pas toujours très loyale.
« Je voulais avoir un atelier au top niveau, une écurie de Formule 1. »
Vous avez décidé d’investir dans de nouveaux locaux début 2011 ?
En 2011, on a aménagé dans un nouveau bâtiment pour travailler dans les meilleures conditions possibles, je voulais avoir un atelier au top niveau, une écurie de Formule 1. Mais il y a beaucoup de petits ateliers qui ne sont pas obligés de respecter comme nous les normes sanitaires pour la protection des ouvriers. La plupart sont indépendants, ils vendent des planches un peu moins chères, mais au bout de cinq ans, ils se rendent compte qu’ils ne gagnent pas d’argent et ils arrêtent, mais un autre arrive et c’est un éternel recommencement. Je suis le seul à avoir des salariés à l’année, j’ai deux glasseurs et deux ponceurs, 13 de mes employés ont acheté leur maison en travaillant chez moi. Si j’écoutais mon comptable, j’arrêterais la production pour faire de l’importation mais ce n’est pas le but. Avec les nouvelles normes qui arrivent en 2019 concernant le styrène, je vais être obligé de faire des travaux pour un montant de 100.000 euros. C’est un challenge permanent mais je compte bien continuer.
« Les planches de pros nous donnent la réputation de haut niveau, et grâce à ça, nos planches de milieu de gamme bénéficient également de la technologie des planches de haut niveau. »
L’importation de planche d’Asie est-elle l’avenir du métier ?
Kelly voulait que je fasse ses planches, les Slater Design, j’ai dit non, je ne voulais pas faire que de l’importation, ça ne m’intéresse pas. Je travaille avec Cobra en Thaïlande, pour faire des planches en époxy, c’est Christiaan Bradley qui va là-bas, ce sont nos designs. Mais mon but, c’est de fabriquer ici en France, on est au centre de l’Europe pour le surf, le core de l’industrie est ici, il faut qu’il y ait quelqu’un qui assure une fabrication industrielle localement. J’adore cet endroit, il y a tout ici et je veux pouvoir continuer à travailler ici. Les planches de pros nous donnent la réputation de haut niveau, et grâce à ça, nos planches de milieu de gamme bénéficient également de la technologie des planches de haut niveau.
C’était difficile de trouver des bons glasseurs au départ ?
C’est toujours difficile de trouver un bon glasseur. C’est difficile de trouver des gens qui veulent travailler toute l’année. La plupart des gars qui travaillent chez nous ont commencé en stage, ils étaient déjà un peu formés et ils ont continué leur formation ici. Le glass est une partie importante dans la fabrication d’une planche mais j’ai envie de dire que toutes les étapes sont importantes.
Quelles sont les planches que vous fabriquez le plus ?
La planche que l’on vend le plus ce n’est pas une planche de pro, c’est le DemiBu, un mini longboard de Phil Grace. Notre business model ce n’est pas de faire du custom, mais de permettre au consommateur de trouver ce dont il a besoin dans notre stock. Nous produisons différents modèles de planches dans tous les styles et dans toutes les tailles, ce qui permet de répondre au mieux à la demande. Aujourd’hui, 65% de nos planches sont fabriquées en France et le reste vient de l’importation.
Vous faites aussi des planches en époxy ?
Pas en France. Ça demande trop de main d’œuvre, ça ne serait pas rentable de fabriquer ces planches localement, le coût du travail est trop élevé. On les fait fabriquer en Asie.
C’est une vraie tendance la planche en mousse ?
Aujourd’hui, le marché de la planche de surf est quasiment saturé, ça fait partie des nouveaux produits. Personnellement en été, ça m’arrive souvent de surfer une planche en mousse. J’ai une gamme en mousse qui va arriver pour 2019, on a une gamme pour les écoles de surf et une gamme technique pour le surfeur avancé.
Au niveau du shape, quelles sont les spécificités des planches performance d’aujourd’hui ?
Plus court, plus plat, plus large, et plus de volume. Une planche typique aujourd’hui fait 5’11 18 7/8 2 3/8, Léonardo, surfe ça. Christiaan est très doué avec le logiciel pour travailler sur la distribution de mousse, c’est ça qui évolue, le rocker n’évolue pas trop, et sur la carène on reste sur du double concave.
« Les planches sont comme les pneus d’une formule 1, il faut les changer souvent. »
Léonardo Fioravanti a besoin de 100 planches par an, c’est beaucoup ?
Nous fabriquons les planches du team Euroglass dont la plupart des riders sont chez Quik. Léo est notre meilleur rider, j’en suis très fier d’autant plus que je suis son beau-père. Léo surfe en moyenne 35 heures par semaine et si on lui fait 100 planches c’est qu’il en a besoin, il les use. Les planches sont comme les pneus d’une formule 1, il faut les changer souvent.
Le shape sur ordinateur a révolutionné la production ?
Aujourd’hui c’est le plus important. Pour un shaper c’est crucial de maîtriser le dessin sur ordinateur, tu as une base de données avec tous tes modèles, sinon tu travailles dans le noir, avec la machine on peut retoucher, on peut revenir à la base, on peut faire une quinzaine de planche avec des changements et revenir au modèle d’origine si nécessaire.
Ça fait quoi de s’occuper du meilleur surfer au monde ?
C’était une belle expérience, je viens de passer deux semaines avec Kelly (Slater) en Afrique du Sud. C’est toujours un de mes meilleurs copains, c’est une belle expérience, c’est une grande chance dans ma vie, il faut parfois que je me pince pour y croire, on a remporté 8 titres mondiaux ensemble, et il y a tous les gens que j’ai rencontrés grâce à lui. Après avoir vécu toutes ces expériences, j’essaye de rester un type normal malgré tout, je ne suis que Stephen Bell, un surfeur du Boardriders Club de Torquay qui a une petite société en France.
Tu dois savoir mieux que personne pourquoi Kelly continue à faire de la compétition malgré les années ?
La compétition c’est sa vie, il aime tout ce qui va avec : l’adrénaline dans les séries, le fait de ne pas savoir s’il va gagner, si une vague va arriver avant la fin de la série… on en parlait justement la semaine dernière. Il va faire sa dernière saison l’année prochaine, mais il ne va pas s’arrêter là, il veut pouvoir participer à certains events et continuer en faisant certaines étapes du Big Wave Tour. On en parlait sur un championnat de golf en Écosse, il y a 3 ans, « en golf, ils jouent jusqu’à 49 ans pourquoi je devrais arrêter », les autres arrêtent parce qu’ils veulent une vie normale, Kelly est chez lui partout dans le monde, il vit sa vie sur chaque étape du tour.
Après Kelly, tu t’occupes toujours des riders du team Quiksilver aujourd’hui ?
Aujourd’hui je ne fais plus de signature de contrat, je fais la logistique sur le tour WSL. J’essaye de guider Leonardo Fioravanti, je lui fais profiter de mon expérience avec Kelly.
Que penses-tu des piscines à vagues ?
Les piscines à vagues font partie du futur. Pour moi c’est fantastique, c’est super pour la promotion vers les enfants et pour le développement de l’encadrement. Il n’y en a pas encore en Australie, je crois qu’il y en a trois en construction. J’attends que quelqu’un en fasse une à Bali. Pour moi, c’est l’endroit parfait, il y a du soleil pour l’énergie solaire, la main œuvre est bon marché, il y a du tourisme toute l’année. Il y a tellement de bons surfeurs dans l’eau, et tellement de bouchons pour aller surfer que ce serait très pratique pour un gars comme moi, pour surfer en famille.
Et que penses-tu de l’arrivée du surf aux JO ?
Pour moi, ils parlent beaucoup de ça, mais je ne suis pas certain que l’on verra grand chose. On verra plus Jérémy Flores rentrer dans le stade avec un drapeau bleu blanc rouge, que le sport en lui-même. On verra une minute de surf à la TV si on a de la chance. Les JO c’est surtout l’athlétisme. Si c’était à Teahupoo 3m50 avec le barrel qui souffle ok, mais à Chiba au Japon ou même dans la piscine à vagues de Kelly, je ne sais pas trop.
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Interview et photos : Stéphane Robin