Originaire de Tynemouth au nord-est de l’Angleterre, Gabe Davies fait partie de ces intrépides qui bravent les eaux froides de la mer du Nord. Alors que ses camarades d’école sont tous fans de foot, son rêve à lui est de devenir surfeur pro. Encouragé par ses parents, il fait très tôt sa place dans le monde du surf et est repéré par Quiksilver pour qui il travaillera pendant 20 ans. Mais c’est auprès de Patagonia, avec qui il commence à travailler dès 2013, que ce fervent défenseur de l’environnement s’accomplira pleinement.
Gabe, où as-tu grandi ?
A Tynemouth, dans le Nord Est de l’Angleterre. La ville la plus proche de chez moi, c’est Newcastle, un sanctuaire du foot. Ici, le surf a toujours été considéré comme une contre-culture, l’eau est froide, avec des vagues de reef et les plages à deux pas.
Tu rêvais de faire quoi ?
J’ai toujours rêvé de devenir un surfer pro, mais je ne pensais pas vraiment que cela puisse arriver un jour. La mer du Nord est bien loin des spots du sud-ouest du Royaume-Uni ou de la France. Dans les années 90, le monde du surf était très différent. Mais mes parents m’ont soutenu et poussé à aller plus loin, à aller voir au-delà de chez nous. J’ai ensuite évolué au niveau national en surfant contre les meilleurs du pays et de là je me suis attaqué à l’Europe.
D’où vient ta passion pour le surf ?
Plonger dans la mer du Nord était un monde bien éloigné de la folie du football qui régnait à mon école et cela m’a vraiment donné une autre façon de voir le monde. Le surf était très underground, on était une tribu secrète avec toute une côte à explorer. On marchait dans les pas de pionniers qui étaient source d’inspiration pour nous.
Tu as fait de cette passion ton métier. Comment est née cette vocation ?
Il y avait de grands surfeurs dans ma génération et à l’époque, les surfeurs britanniques raflaient tous les titres européens. Ils étaient bien plus nombreux sur la scène de la compétition qu’aujourd’hui. En tant que jeune surfeur, je me suis démené pour me faire une place dans ce monde. Les sponsors m’ont permis d’enclencher une carrière pro, ce qui concrètement, m’a permis de transformer une chance d’outsider en réalité.
Ca t’a apporté quoi d’être soutenu par une marque aussi importante que Quiksilver ?
J’ai remporté le titre de Champion national des moins de 16 ans et j’ai touché mon premier chèque alors que je me décidais à partir faire mes études universitaires à 18 ans. Grace à ce soutien, je me suis acheté un billet pour Hawaii et j’ai poursuivi le rêve du surf de gros. Ce voyage a finalement duré plus de 20 ans avec quelques moments forts, comme la première fois où on a surfé la vague géante de Mullaghmore, ou faire partie des premiers sur la scène du surf tracté, ou même quelques nominations aux XXL Big Wave Awards. J’ai commencé avec Quiksilver quand ils n’étaient que de quelques personnes dans un entrepôt. J’ai vu la boîte grandir à une époque où c’était le team le plus cool auquel il fallait absolument faire partie.
« Le travail environnemental […] était tout aussi source d’inspiration pour moi que le surf pro et la performance dans l’eau. »
Quand as-tu décidé d’arrêter ta carrière de surfer pro ?
Au cours de mes dernières années chez Quiksilver, j’ai vu certains des meilleurs employés quitter la société et j’ai commencé à me poser des questions sur pourquoi j’étais réellement basé dans le sud-ouest de la France et quelles étaient mes priorités et celles de ma famille. Le travail environnemental que je voyais chez des entités comme Surfers Against Sewage était tout aussi source d’inspiration pour moi que le surf pro et la performance dans l’eau. Je ne voyais pas l’industrie du surf aller dans cette direction aussi vite que je le souhaitais.
Tu as fait quoi après ?
J’étais ami avec les frères Malloy, qui étaient chez Patagonia, une marque outdoor qui était bien plus active que toutes les autres marques de surf et cela m’a ouvert les yeux. A cette époque, les frères ont pris leurs distances avec Billabong et Hurley pour développer Patagonia Surf. J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment lorsque leur équipe Europe cherchait quelqu’un pour développer le segment surf afin de proposer une offre complémentaire à ce qu’ils avaient déjà en version montagne.
Aujourd’hui, tu travailles pour Patagonia, tu peux nous expliquer ce que tu fais ?
Beaucoup des membres de l’équipe en Europe et à Ventura surfent ou font du kite entre deux sessions outdoor. Le surf fait à présent partie intégrante de l’entreprise. Mon rôle est au croisement du marketing, de la vente, du produit et des groupes environnementaux qui ont une dimension surf. Je viens en soutien aux équipes de ventes et aux distributeurs partenaires qui représentent Patagonia. Nous voulons développer des relations à long terme et durables. On a tous vu comment l’industrie du surf a explosé pour ensuite s’effondrer, ou bien assisté à l’évolution de certaines marques qui ont perdu leurs valeurs core et leurs racines. Mon rôle est de créer du lien entre Patagonia Surf et des surfeurs qui partagent nos valeurs et qui pourront ensuite transmettre notre message et apporter un changement positif dans leurs propres communautés.
La mission de Patagonia est de sauver la planète. C’est ambitieux, non ?
Ha-ha, oui, très ambitieux, mais c’est aussi très sérieux. Notre devise : « Notre entreprise existe pour sauver notre planète » est au cœur de toutes nos décisions clés. L’enjeu n’a jamais été aussi important avec la crise du climat. La consommation et la dépendance aux énergies fossiles mènent notre société vers le précipice.
On ne peut plus continuer ainsi, sinon nos enfants en pâtiront sous nos yeux. Patagonia a toujours travaillé pour proposer le meilleur produit, avec le moins d’impact sur la chaine de distribution et a toujours soutenu les groupes environnementaux. A présent il nous faut aussi changer les systèmes et les industries et trouver des solutions ensemble.
« Utilisez votre pouvoir d’achat en tant que consommateur, individu ou industrie pour faire des choix à impact positif. »
Comment peut-on être plus respectueux de la planète dans notre quotidien ?
Nous devons tous prendre nos responsabilités sur la façon dont nous pouvons changer les choses. Il ne s’agit pas de nettoyer une plage ou de réutiliser des sacs plastiques, il faut changer les choses à grande échelle. Nous, en tant qu’Industrie, avons de nombreux choix au quotidien qui peuvent avoir un impact positif. Qui est votre fournisseur d’énergie ? Utilise-t-il des sources renouvelables ? Choisir des matières premières bio ou recyclées. Patagonia a démontré que cela n’enlève rien à la qualité du produit et que nous sommes totalement transparents sur où nos produits sont fabriqués. N’importe quelle entreprise peut obtenir la certification Fairtrade si elle utilise nos partenaires logistiques. Si un produit est conçu pour une meilleure durée de vie ou qu’il est réparable, c’est encore mieux. Utilisez votre pouvoir d’achat en tant que consommateur, individu ou industrie pour faire des choix à impact positif. Ne chercher que le profit a un coût caché, soit auprès des salariés compétents dans la chaîne logistique, soit dans le coût de l’utilisation de produits bon marché qui se retrouvent à remplir les décharges municipales. Faire ce qui est bien est bon aussi pour le business.
En 2016, Patagonia remporte le Prix d’Innovation EUROSIMA pour sa combinaison Yulex. Tu peux nous en dire plus ?
Ca fait 10 ans qu’on travaille sur la combinaison Yulex de Patagonia. Tout a commencé quand Yulex Corp est venu vers nous avec un caoutchouc naturel qui pourrait remplacer le néoprène à base de produits pétrochimiques ou « limestone » (à base de roche calcaire) dans nos combinaisons traditionnelles. On a toujours su que le limestone n’était pas une solution. Si on peut éviter, pourquoi extraire de la roche calcaire pour en faire une combinaison ? Ou bien, pourquoi utiliser des composants pétrochimiques comme ingrédient principal dans la combinaison ? Ce n’est en aucun cas durable ni respectueux pour l’environnement.
Il nous fallait simplement produire une combinaison en caoutchouc naturel qui tiendrait plus longtemps que les autres combinaisons pour prouver que cela pouvait se faire. Notre combinaison actuelle a subi plus de 200 tests matériels et a de bons retours à l’eau. La matière naturelle est plus performante que n’importe quel caoutchouc synthétique et économise 80% de CO2 par combinaison. La matière est complètement durable. Les arbres Hévéas, qui sont certifiés par la Fondation Rainforest, poussent et fournissent du caoutchouc pour 35 ans. Le caoutchouc Yulex est accessible à tous et plus les marques seront nombreuses à s’en servir, moins cher cette matière coûtera.
« Nous reversons 1% de notre chiffre d’affaires à des groupes environnementaux afin de nous auto-taxer sur notre empreinte. »
Patagonia a choisi d’offrir ce prix de 5000€ à l’association Surfers Against Sewage. Pourquoi avoir choisi cette association ?
C’était un choix assez naturel. Nous reversons 1% de notre chiffre d’affaires à des groupes environnementaux afin de nous auto-taxer sur notre empreinte. N’importe qui peut s’inscrire à l’organisation ‘1% for The Planet’. Aujourd’hui nous utilisons la plateforme Patagonia Action Works afin de soutenir toutes les ONGs avec lesquelles nous travaillons. Surfers Against Sewage fait un travail incroyable aussi bien au niveau gouvernemental que sur le terrain avec le nettoyage des plages et la sensibilisation pour des milieux scolaires sans plastique. Ils font un travail qui progresse constamment et ont toujours été une source d’inspiration.
Quel est ton avis sur le développement du surf (piscines à vagues, Jeux Olympiques…) ?
Que voulez-vous, c’est ça le futur, qu’on le veuille ou non. Je pense que les JO ont plus besoin du surf que le surf n’a besoin des JO. Un point positif que je vois cependant, c’est qu’on peut espérer que certains jeunes surfeurs européens pourront être soutenus par des entités sportives nationales pour pouvoir évoluer au niveau mondial à travers le système de financement olympique.
Les vagues artificielles sont aussi un moyen de faire évoluer l’accès à notre sport et à la performance et permettre à l’industrie du surf se développer. Mais aussi performantes qu’elles arrivent à être de nos jours, les vagues artificielles ne remplaceront jamais ces moments naturels qui font que l’on aime tant le surf.
Mais est-ce que ces évolutions peuvent, d’une manière ou d’une autre encourager l’industrie à être plus durable ou permettre aux surfeurs d’apprécier encore plus la nature et protéger leurs plages ? Cela reste à voir.
Quels conseils donnerais-tu aux futurs entrepreneurs ?
Rester fidèle à ses rêves. Si je démarrais ma carrière aujourd’hui, je trouverais de l’inspiration dans la jeunesse et ces « game-changers » qui veulent un monde différent et qui évolue. Il y a beaucoup d’incertitudes dans le monde en ce moment, ce qui amène vers plus de changements dans les politiques et dans le système. Prenez par exemple les grèves pour le climat de la part des étudiants et lycéens ou la « Extinction Rebellion » qui rassemble les foules et bloque les villes. Les gens veulent de l’air frais et des idées nouvelles et la communauté du surf devrait être à l’avant de cette vague et mener le combat.
Patagonia : Website / Facebook / Instagram
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Interview : Stéphanie Godin
Photos : Mike Guest, Stéphane Robin et Patagonia